Yvette Théraulaz

Les Enfants Tanner de Robert Walser

sept. 1990  Les Enfants Tanner de Robert Walser

Mise en scène Joël Jouanneau

Rarement le théâtre nous donne quelque chose d'aussi beau. Les Enfants Tanner, du Suisse allemand Robert Walser, adapté par Joël Jouanneau et Jean Launay, mis en scène par Joël Jouanneau, Création festival d'automne au théâtre de la Bastille, théâtre à l'état pur. Une scène vide, juste la place de jouer. Autour, des toiles peintes. Arbres, montagnes, ciel. Faits un peu à la va-vite, sans insister. A ce moment, l'écoute et la vue de notre vie sont déblayées. Et notre for intérieur se retient à deux filins : une voix, une apparition.

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Une voix. Les Enfants Tanner, c'est la voix de Robert Walser, l'une des grandes voix que nous sommes à même d'entendre. Et, quelle chance, « passée» en français par un traducteur inégalable, Jean Launay. Plutôt qu'un traducteur il fait penser à un « passeur », en effet: dans sa barque, il fait monter le poète et le conduit sur l'autre rive. En douceur, sans moteur, et même sans voile. A la main, avec une branche qui effleure l'eau. D'un langage à l'autre.

Par moments, un écran de tuille transparent qui permet à des sources de lumière - lampes, bougies - de changer l'image des acteurs (ils sont sept, trois femmes et quatre hommes). Visions nettes, puis silhouettes indécises, ombres la nuit sur le mur de la chambre, traces d'un rêve ou le jet brusque d'une tuile réelle, d'un tourment.
L'irradiation de cette soirée repose néanmoins sur le maître d'œuvre, le metteur en scène Joël Jouanneau. Il est le contraire d'un metteur en scène de gros décor, de gros tambours, de grosse affiche, de gros tapage. Il est .un vrai grand magicien de théâtre médité, sensible, sincère, de théâtre voyageur et contagieux.

Ses toiles peintes, ses lampes à alcool, ses apparitions et ses ombres, ses aveux déchirants ou consolants dans la nuit, savent, par le seul don d'artistes et d'acteurs, peupler vingt mètres de planches de tout un univers d'existences espérées ou anéanties, ou qui ont tout usé, à la longue, à force. Tout cela jeté aux fibres par des gestes de mains, des éclats, par ces étincelles d'échanges entre des comédiens et des auditoires qui sont venus ce soir, chercher quoi?Dans une neige d'un bleu éternel. Joël Jouanneau met en scène « les Enfants Tanner» de Robert Walser: du théâtre pur.

Et les acteurs: Philippe Demarie, généreux, inspiré, casse-cou, enchanteur - conteur - funambule, alter ego de Tanner, météorite inadaptable; Marief Guittier, image, semble-t-il, d'une sœur de Walser, actrice d'une réserve violente, exprimant d'une seule blancheur, d'un seul abîme crispé, l'obéissance d'une vie et l'insurrection de quelques bouffées d'air volées; David Warrilow, dont l'art d'acteur a la précision, l'invention, la fièvre, l' « orient», de telles planches de Rembrandt, de Goya, - la voix de viole de gambe en plus; et Yvette Théraulaz, d'une rare élégance intérieure à manifester des instincts, des élans; et Christian Ruché, Michel Raskine, Virginie Michaud.



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HURLE FRANCE

oct. 1989  HURLE FRANCE

Chef de troupe Jean-Louis Hourdin / création collective.

Au lendemain de la première de « Hurle France », donnée dans le fief des Fédérés, Hérisson, ce ravissant village de l'Allier, Jean-Louis Hourdin ne savait pas très bien si son spectacle était réussi. A la limite, même si, dès le dernier applaudissement enfui dans la nuit de l'Aumance, en félicitant ses comédiens, il avait déjà signifié tel passage à raccourcir, tel mouvement à changer, " problème de Jean-Louis Hourdin n'était pas que «Hurle France» soit un succès ou non, mais que l'incroyable expérience ait marché.

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Funambule du théâtre, adorant tenter le diable, mais humaniste au grand coeur, Jean-Louis Hourdin, metteur en scène, aime les paris un peu fous. Celui de « Hurle France » l'était complètement, il en fallait plus que ça pour empêcher l'homme de théâtre d'essayer de rattraper son rêve : faire jouer ensemble trente-cinq artistes venus du théâtre, du café-théâtre, de la danse, de la musique, de la chanson. « C'est un fantasme, la poursuite d'une utopie », commente Hourdin. C'est aussi un spectacle étonnant, formidable d'énergie, de violence, d'émotion et d'humour. A sa façon, Jean-Louis Hourdin, qui porte officiellement pour «Hurle France» le titre de chef de troupe, a voulu marquer le bicentenaire de la Révolution, réinventer la démocratie en matière théâtrale comme un reflet de la vie courante. «Le but était, explique-t-il, de montrer qu'à la scène il n'y a pas d'art mineur, que tous les hommes et les femmes sont égaux, de créer sans qu'il y ait de hiérarchie mais collectivement».

Embarqués par le délire maîtrisé de Jean-Louis Hourdin, tous les artistes contactés ont dit banco. Il est vrai que le comédien metteur en scène du G.R.A.T. les connaissait tous et, avait déjà travaillé avec nombre d'entre eux à moins qu'il n'ait rencontré les autres à «La Soupe aux Choux» de Bourges. Une aventure à haut risque que de faire travailler ensemble tant de personnalités aussi affirmées, individualistes par l'essence même de la scène. «J'étais persuadé qu'ils se barreraient dès les premiers jours, confie Jean-Louis Hourdin, et puis tout a fonctionné parce que tous ont compris l'expérience et qu'ils sont des amoureux de la scène, du spectacle».

Un spectacle en évolution
C'est dans un petit village du Maçonnais que la troupe a travaillé pendant deux mois sur le principe d'ateliers par thème et d'improvisations, récriture étant bien sûr au rendez-vous pour les artistes. Mais auparavant chacun d'entre eux avait donné aux autres un spectacle d'une heure, une façon comme une autre de se découvrir
et de se connaître. Travaillant sur le silence, l'oppression, le rire, etc., ils ont écrit des textes par groupe et quelquefois individuellement, fait des chansons, imaginé des situations. « Nous avons sacrifié des trésors de création, dit Jean-Louis Hourdin, mais il fallait resserrer au maximum pour que « Hurle France » ne soit pas un spectacle trop long ». Pourtant, jusqu'au dernier moment, même après le dernier filage, rien n'était arrêté. Durant les répétitions, il n'était pas rare de supprimer purement et simplement un passage de la veille ou de le changer radicalement. Du coup, « Hurle France » est une création en constante mutation, même si après la première il sera forcément un peu figé dans la forme qui lui a été donnée.

Mais la belle aventure de la création et de la démocratie de l'art, l'utopie réussie de «Hurle France» s'arrêtera le 4 août avec la représentation donnée dans le cadre des Ballades à Bourges. Impossible en effet de tourner un spectacle aussi lourd en nombre de comédiens. Et le relatif éphémère de la création trouvera aussi là un joli symbole.



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émilie ne sera plus cueillie par l'anémone de michel garneau

janv. 1989  émilie ne sera plus cueillie par l'anémone de michel garneau

Mise en scène Philippe Morand au Théâtre de Poche à Genève

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LES Nègres de Jean Genet

avril 1988  LES Nègres de Jean Genet

Yvette Théraulaz joue la Reine à la comédie de Genève puis à Vidy.
Mise en scène André Steiger, coproduction CDL-Comédie.
Photo Daniel Vittet

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NUIT D'ORAGE SUR GAZA

mai 1987  NUIT D'ORAGE SUR GAZA

Ecrit et mise en scène Joël Jouanneau

«Tout près de Gaza, dans un restaurant abandonné aux couleurs ocre et bleues et plus loin la mer, Marie et Léo.» Le noir, ensuite, le sang, le visage et les gestes lents, un peu japonais de Léo qui se tranche la gorge...

«Nuit d'orage sur Gaza» procède du rituel. Celui de l'exorcisme et de la mise à mort. Son auteur et metteur en scène, Joël Jouanneau a senti, au Liban, l'horreur lui transpercer le crâne. Léo son personnage ne peut plus se débarrasser du cri d'une tête coupée, qu'il a vue là-bas. Marie, sa femme, l'aide à se souvenir jusqu'au bout pour qu'il ne reste pas là, qu'il avance, la rejoigne. C’est le contraire qui va se passer.

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Le texte de Joël Jouanneau est beau, musical, mathématique, ponctué comme ces jeux d'enfants par des mots qui reviennent, Boum-Alouette. C'est que Léo et Marie se plument jusqu'à la tête. Lui, trop calme, assis, couché ou accroupi, tassé sur ses souvenirs comme un oiseau qui couve. Elle, énergique, arpentant l'espace d'un bout à l'autre. Lointaine et pourtant toute proche. La mise en scène comme la pièce est tendue, sourde. Nous sommes délibérément tenus en dehors. Nous regardons d'un œil moins passif qu'il n'y parait, avec lequel nous avalons les actualités à la télévision. Ici aussi l'insoutenable, insidieusement, nous entre dans l'âme.

Jamais les comédiens ne s'adressent à nous. Tout se passe entre eux, tout converge au centre du très beau décor de Jacques Gabel, lumières rasantes y compris. Dans ce climat oppressant et glauque on souhaiterait s'attacher aux pas de Marie, la prendre pour guide mais à quoi bon? L'homme et la femme se suffisent à eux-mêmes, se poussent, se tirent sans nous, car c'est avant tout une histoire d'amour. Jacques Denis est Léo, assommé par la vie, il joue « avec rien» et pourtant tout dans ses déplacements, ses intonations restitue le poids écrasant du souvenir.

Yvette Théraulaz est une Marie tendre, rassurante qui se cassera comme de l'opaline par une nuit d'orage. Tous deux sont remarquables dans un jeu difficile. Mais ce spectacle force le respect ne fusse que pour la réflexion qu'il impose et l'urgence du propos.


COURANTS D'ART A propos de Nuit d'Orage sur Gaza


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LA RONDE D'Arthur Schnitzler (1862-1931)

févr. 1987  LA RONDE D'Arthur Schnitzler (1862-1931)

Mise en scène Martine Paschoud

«La ronde» impossible du sexe
Si « La ronde » est surtout un film de Max Ophiils d'une délicatesse et d'un humour reconnus, il est bon de retrouver la pièce de ce médecin viennois qu'était Arthur Schnitzler (1862-1931). Observateur des mœurs à l'égal d'un Maupassant, Schnitzler est un pessimiste en matière d'amour. Dans « La ronde », il montre des contemporains pris aux pièges du désir et guère portés à la compréhension de leurs partenaires.

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Vaudeville joyeux, qui se déroule presque comme un jeu dont la case centrale serait la Chose, il introduit par la variété des couples, une idée générale de la séduction, sans cesse différente mais toujours semblable, et celle d'hommes et de femmes feignant de ne pas jouer avec le feu, et s'y adonnant désespérément. Comme l'idée de la bienséance sexuelle et les comportements sociaux ont évolué (même s'ils n'ont pas fondamentalement changé), il nous aurait paru agréable de faire connaissance avec la Vienne de la fin du XIXe siècle (la pièce date de 1896).

Martine Paschoud et le Nouveau Théâtre de Poche de Genève ont plutôt opté pour une stylisation qui n'exclut pas les complexités vestimentaires, mais que le décor plutôt froid et terne de Roland Deville souligne un peu trop pesamment. Tout comme la musique qui ponctue les ébats amoureux. Il y a là une volonté de démonstration que la simplicité du texte rendait parfaitement inutile. Le jeu est également caricaturé — trop parfois. Ou, si l'on préfère, cette caricature ne dépasse qu'en de rares moments une fonction explicative. Enrichie, prolongée plus loin que l'esquisse, elle serait devenue encore plus savoureuse. Yvette Tnéraulaz en donne un excellent exemple dans le rôle de la comédienne et Laurent Sandoz dans celui du comte.

C'est d'ailleurs par les trouvailles du jeu, les alternances de registres et de sentiments que la pièce intéresse toujours. S'il doit y avoir retenue, c'est uniquement celle du jeu social, ce n'est pas celle du comédien. On devrait le percevoir à tout moment. En bref, un choix intéressant, même si une trop grande mesure prévaut dans l'éclatement, mesure qui atténue les contrastes que l'auteur cultive. La poésie disparaît ainsi derrière une forme de rigueur et la délicatesse ne devient qu'ironie. On était pourtant sur le meilleur chemin. Le public de Vidy a apprécié sujet et travail par des rappels convaincus.


La Ronde de Schnitzler / Extrait


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CREDO D'Enzo Corman

oct. 1985  CREDO D'Enzo Corman

Mise en scène Armand Deladoëy

Dans le ventre du théâtre, sous la scène où se donne à d'autres heures. «Quartet» de Heiner Müller. Yvette Théraulaz joue «Credo» d'Enzo Corman. Une performance de comédienne et un morceau d'écriture. Un monologue de femme, genre décidément en vogue dans l'écriture théâtrale contemporaine, féminisme et psychanalyse obligent - sans doute. Ici, pas de confession brute. La langue, littéraire. presque classique par l'attention portée aux rythmes, coule, souple, ailée, évocatrice. Une écriture et une parole, virtuose, ambiguë, éprouvante. Parole de femme adressée au silence, à l'absence. A l'autre que l'on est, que l'on hait, que l'on tue en manière de suicide. Jeux de miroir. Prière, cri, solitude tendue vers l'homme qui n'est plus là, celui que la femme porte en elle, celui, aussi, plus vaste, qu'elle ne peut désigner, parce que son nom est imprononçable.

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Au fil des mots, rêves et souvenirs reviennent. La femme raconte, par bribes, son enfance, son père et comme il savait boire du vin, humer le liège, Pierrot son frère, qui appelait sa queue Roseline et qui eut la main coupée, Tonio, qu'elle suivit dans la cabane. Et Chut. «Chut» c'est le nom que les enfants donnèrent à cette femme, bonne et toujours silencieuse, qui resta deux mois à la maison et fut cueillie par deux gendarmes. Une princesse, un fantôme, une femme de gangster. Et cette autre qui riait. La femme du tableau accroché à l'entrée. Une femme à sa fenêtre, qui riait. D'elle lui dit-on. Et elle le crut.

Sur un carré de nappe posé à même le sol, les couverts d'argent, la carafe et le verre de vin de l'absent. C’est vers lui qu'elle dirige les mots, lorsqu'elle baisse les yeux du haut de son petit escabeau. Trop grande pour la maison de poupée. Son regard tombe à terre, et d'abord, on n'entend que des mots, qui passent trop vite. Puis le texte devient parole, incarnée, bouleversante, à travers le visage, le corps et la voix d'Yvette Théraulaz. Ni formalisme, ni joliesse dans l'interprétation. Un dialogue maîtrisé, mais formidablement généreux, engagé, avec le texte. Et derrière lui, la souffrance, la solitude. Le visage défait, le nez et les yeux qui coulent, la comédienne ne joue pas un personnage, elle se frotte, s'abandonne à un texte. Le nourrit de ce qu'elle est, de sa vérité de femme et de son talent de comédienne, pour nous le faire partager.



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